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Deuxième partie

Mais toutes ces conditions, ces contextes favorables, en Allemagne ou aux Etats-Unis (nous aurions pu ajouter Israël, Singapour ou la Corée du Sud), où les PME et les grands groupes sont très étroitement liés, où l'innovation permet la naissance de jeunes pousses devenant des géants mondiaux ne sauraient suffire sans l'instauration de la confiance et du respect mutuel. Ce qui passe par la non asphixie financière des jeunes pousses et des PME, non pas à l'aide d'un énième disposifif d'aide d'Etat mais plus simplement par le respect des délais de paiements par les grands donneurs d'ordres. Dans ce domaine la France a certes fait des progrès notables depuis l'instauration de la LME mais peut faire beaucoup mieux. Dans son dernier rapport, l'Observatoire des délais de paiement constate que : "plus d’une grande entreprise sur deux règle ses fournisseurs avec retard, contre une PME sur trois. De même les « grands retards », supérieurs à 2 mois, sont proportionnellement deux fois plus nombreux chez les grandes entreprises que chez les PME. Or, les retards de paiement ont un impact macroéconomique important : pour 2014 la trésorerie qui serait libérée dans l’hypothèse d’un strict respect de la loi a été estimée à 12 milliards d'euros !

Pire, l’assèchement de la trésorerie peut même, dans certains cas, conduire au dépôt de bilan. Ainsi, selon Altares, la probabilité de défaillances augmente de façon exponentielle à partir de 30 jours de retard. Toutefois les situations en matière de délais de paiement diffèrent en fonction des secteurs d'activités. Et là, les experts de l'Observatoire pointent du doigt les pratiques notamment dans le secteur de l’information et de la communication qui "restent à des niveaux très élevés et très nettement supérieurs à la valeur de 60 jours d’achats ou de chiffre d’affaires, prise comme estimation de la limite légale des 60 jours". Un secteur qui comporte de nombreuses petites structures susceptibles de subir un rapport de force défavorable de la part de leurs clients, avance le rapport. Des observations qui sont d'ailleurs corroborées par le trio de têtes des mauvais payeurs épinglés par la DGCCRF -qui a décidé de rendre public les noms des sociétés visées et le montant des amendes infligées- puisque deux d'entre eux sont des fournisseurs d'accès internet.

Si la France veut pouvoir compter sur un vaste et puissant tissu de TPE, de PME et d'ETI -pas seulement dans le secteur du numérique-  pour qu'un jour puisse exister le CAC 400, une perspective chère à Nicolas Dufourcq, le Directeur général de bpifrance, il est vital que le niveau de leurs trésoreries leur donne les moyens d'investir dans la recherche, de s'équiper de robots et d'attirer des talents. 

Poussons la réflexion plus loin car si la "peur du gendarme" et l'évolution des "moeurs" permettront sans doute à la France de rejoindre les meilleurs de la classe européenne en matière de délais de paiement, encore faudra-t-il que les mentalités et les cultures d'entreprises évoluent profondément pour que grands groupes, PME et jeunes pousses travaillent ensemble sur le long terme dans un nouvel état d'esprit. "Aujourd’hui en était encore la preuve, les entreprises ne sont pas prêtes à travailler avec des startups. Non pas du fait que les entreprises ne veulent et ne font pas preuve d’initiative, mais parce que les employés ne sont pas habitués à travailler avec ce monde où l’échec est primordial pour avancer et dont la mutation est perpétuelle", peut-on lire sur le blog d'une jeune entreprise française suite à sa participation au Cebit et opérant dans l'univers du Big data.

Or, ce n'est pas une loi qui viendra faire changer ce constat, ni un artifice logiciel : un programme "culture d'entreprise, collaboration et écosystème" ne peut pas être "chargé" dans le cerveau des managers de grands groupes à l'instar du héros de Matrix !  Alors ? Un travail de longue haleine doit être entrepris pour favoriser l'esprit collaboratif et ce, à tous les niveaux.

Tout au long du parcours scolaire, il conviendrait, en complément du traditionnel enseignement "vertical" français, de délivrer un enseignement de type "horizontal" qui favorise très tôt le travail de groupe et la réalisation de projets communs, car c'est ainsi que s'acquiert la confiance dans les autres, notent les auteurs de "La fabrique de la défiance". Ils rappellent que dans les pays anglo-saxons et nordiques, l'école est conçue à l'image d'une communauté où l'expression individuelle et les activités collectives sont privilégiées.

Dans les cycles supérieurs, cet esprit d'ouverture et de collaboration avec les autres doit être poursuivi et surtout les messages sur les carrières modifiés : entrer dans un grand groupe n'est pas LA seule voie possible pour de jeunes diplômés, on peut faire de très belles carrières dans des PME, qui plus est situées en Province. Le Mittelstand allemand se nourrit aussi des talents qu'il attire et il est courant outre-Rhin, de réaliser de très beaux parcours professionnels sans jamais intégrer un grand groupe. En France, si un jeune talent parisien fraîchement diplômé optait pour aller travailler dans une PME localisée en province, loin d'une grande ville, quel regard porterait son entourage, ses amis sur un tel choix ? La France doit donc collectivement modifier son sentiment sur ses ETI, PME et jeunes pousses.

Enfin dans les entreprises, les cultures doivent également s'adapter à la nécessité du travail collaboratif, non seulement en interne, mais aussi avec un écosystème, existant ou non. Les groupes allemands sont réellement partenaires des PME et des ETI alors que les groupes français entretiennent plutôt des relations de donneurs d'ordres à fournisseur. Ainsi, au lieu de travailler de concert pour réduire les coûts, grands groupes et PME rentrent souvent dans un rapport de force sur ces questions. "La logique "achat" a trop pris le pas ces dernières années sur la logique qualité-prix et les rapports humains dans les relations entre les grands groupes et leurs fournisseurs",  observe un expert. Quant à travailler avec des jeunes pousses, si les discours commencent à évoluer, ils doivent se traduire dans les faits, à grande échelle, et pour cela, il faut apprendre à connaître un univers différent et faire évoluer stratégies et méthodes de management. Une période d'apprentissage est donc nécessaire.

Dans cette optique, « 500 Startups », le fameux investisseur et accélérateur de startups américain, a lancé une formation pour les grandes entreprises. Dénommée "Corporate Startup Innovation Unlocked",  elle a pour objectif de donner aux managers des grands groupes des clés pour innover avec les startups et également apprendre de leur agilité et s’imprégner de leur culture. Apprendre à se connaître et, en cas de rachat de la jeune pousse, ne pas étouffer la créativité est un défi de taille. On parle de plus en plus aux Etats-Unis de "rachat non intégré" qui permet à la jeune entreprise acquise de conserver son identité, ses locaux etc. en bref son indépendance.

Bonne nouvelle, des solutions existent pour faire évoluer les mentalités et instaurer des rapports plus harmonieux entre les grands groupes et leurs partenaires. Cela est d'autant plus indispensable que le fil rouge de l'innovation semble désormais se situer dans le travail collaboratif. Ainsi la part des projets collaboratifs dans les dépenses de R&D des entreprises ne cesse-t-elle de croître et deviendra même majoritaire en 2017, selon une étude* de l'Inpi, associé au cabinet PwC.

Pascal Picq rappelle que l'innovation ne doit pas être réduite à un nouvel outil technologique, sans prêter attention au processus dont elle est issue. Il s'agit, en matière scientifique, d'emprunts, de modifications et de recombinaisons inédites d'éléments existants, ce que certains nomment le « bricolage ». Dans les entreprises cela devrait se traduire, selon le  paléoanthropologue : "par moins d'autoritarisme, plus de marge de manoeuvre pour les salariés, plus de collaboration... L'innovation ne doit pas être le seul apanage des ingénieurs, mais résulter du « bricolage » collectif d'un ensemble d'acteurs : philosophes, artistes, scientifiques, designers, etc. ".

Les changements de culture sont toujours des "aventures" longues et difficiles car chacun de nous est "perclu" d'habitudes dont il est dur de se débarasser. Selon des psychologues et experts en neurosciences américains, notre cerveau contiendrait des "sillons" cérébraux sous forme de voies neuronales, tellement empruntés qu'elles finissent par s'user. Littéralement. Heureusement notre cerveau possède aussi la capacité à tracer de nouveaux "sillons" et créer ainsi de meilleures habitudes. "Comme un logiciel éternellement bloqué dans sa version bêta, le cerveau a ses bugs mais sa maléabilité lui permet de faire de fréquentes mises à jour", explique Christopher Chabris,  enseignant en psychologie à l'Union College, à Schenectady (New York). Nous n'avons donc aucune excuse pour ne pas changer !

*Talleyrand : Dernières nouvelles du Diable, Emmanuel de Waresquiel,CNRS Éditions, 2011.