Frédéric Porta

Frédéric Porta

Directeur en charge de la transformation digitale et innovation au sein du Centre d'Innovation digitale chez CGI

Comment mettre en place un dialogue cohérent et sans rupture ? Comment rendre son chatbot suffisamment « intelligent » ? Comment capitaliser sur l’existant ?

Longtemps considérés comme des gagdets, les agents conversationnels ou chatbots s’imposent désormais comme une solution à part entière dans la stratégie de transformation numérique des DSI du secteur public. La montée en puissance de nouveaux paradigmes tels que l’API Management, l’Intelligence artificielle ou le Machine Learning replacent le chatbot comme un vecteur incontournable dans la révolution des usages.

Aujourd’hui, les chatbots sont des assistants digitaux capables d’aider les hommes dans leurs tâches du quotidien en leur évitant un travail fastidieux de recherche d’informations dans les portails d’entreprises pour obtenir une réponse à leur question. Ce nouveau canal révolutionne notre manière d’accéder à l’information et va à contre-courant des canaux classiques que sont les messageries, sites web et diverses applications. Notre relation à l’information, en tant que citoyen, s’en retrouve inversée et va disrupter nos usages.

Ces solutions chatbots ou assistants conversationnels sont un moyen de répondre aux objectifs et enjeux de transformation digitale fixés par l’État dans le cadre de son programme Action publique 2022. Encore faut-il qu’elles proposent aux citoyens une expérience immersive et attractive. Pour cela, j’identifie 3 enjeux majeurs :

  • Mettre en place un dialogue cohérent et sans rupture pour le citoyen afin qu’il soit désireux de réaliser une procédure administrative avec son compagnon. Une approche UX Conversationnel est indispensable.

  • Rendre son chatbot suffisamment « intelligent » pour que le citoyen trouve de l’intérêt dans ce nouvel usage tout en garantissant à l’acteur public qui transmet l’information, que celle-ci soit juste (différence majeure avec SIRI ou Google Assistant qui proposent le contenu le plus proche possible de la demande).

  • Capitaliser sur les bases de connaissances existantes afin de ne pas augmenter la charge de mises à jour des contenus documentaires et législatifs qui incombent aux agents de chaque institution ou collectivité territoriale.

L’UX Conversationnel : une compétence rare, mais indispensable pour réussir son chatbot

Pour réussir son chatbot et son déploiement sur vos portails web, applications mobiles et messageries instantanées, il convient en premier lieu de cibler les populations que vous souhaitez adresser et de dresser vos Persona. Objectif : cibler plus facilement les canaux prioritaires et d’adapter plus simplement l’élaboration des dialogues pour capter l’attention des utilisateurs.

Prenons, l’exemple du chatbot OUI.sncf. L’expérience utilisateur a primé avant tout. Le chatbot apparait discrètement sur la page sur tous supports et propose un tutoriel d’utilisation. Les cas d’usages sont simples, mais la connexion aux API de OUI.sncf permet de rendre l’expérience attractive. Le ton de la conversation a également été bien travaillé pour rendre le dialogue fluide et mettre l’utilisateur dans une ambiance positive.

Autres exemples avec le CES 2018. De nombreux assistants intelligents prévus par les constructeurs et GAFAM ont été présentés. Prochainement, ils devraient pouvoir communiquer exclusivement via la voix et rendre l’expérience encore plus intuitive et simple.

Ce canal nécessite une véritable réflexion dans l’élaboration du dialogue qui doit être marqué par une reconnaissance vocale pertinente, une voix agréable pour l’utilisateur et des interactions toujours plus travaillées pour garder l’attention de l’utilisateur et le guide le plus efficacement possible. Cet axe de réflexion est un des domaines qu’il faut observer sur 2018 avec l’arrivée des enceintes connectées, robots ou autres objets communicants et leur impact dans le quotidien de nos citoyens. Les dialogues 100% à la voix posant évidemment quelques questions additionnelles pour rendre l’expérience d’usage la plus intéressante & efficace possible.

Enfin, pour travailler sur de l’UX Conversationnel, il est impératif d’avoir des consultants UX, des ergonomes et des designers formés à l’intelligence de la donnée pour penser une expérience conversationnelle idéale certes, mais également rationnelle.

L’intelligence artificielle, comment bien concevoir ses algorithmes et usages du machine learning sans les dérives...

L’enjeu majeur de la mise en place de systèmes cognitifs dans les solutions de chatbot est de pouvoir travailler une réponse contextualisée, enrichie et adaptée aux interrogations de l’utilisateur. Pour ce faire, les chatbots doivent disposer d’algorithmes de Machine Learning qui vont bénéficier de nombreuses sources de données pour pouvoir détecter la meilleure réponse à fournir à l’utilisateur. Certains chatbots peuvent également être créés avec un système d’apprentissage de type Machine Learning supervisé ou non supervisé. Les chatbots deviennent alors des « agents intelligents » en mesure de capitaliser sur les informations apportées par l’utilisateur ou d’autres utilisateurs pour pouvoir assimiler et soumettre de nouveau ces propositions dans d’autres contextes. Plus ils interagissent, mieux ils apprennent à anticiper les comportements. Seule dérive de ce type de système, l’apprentissage doit être significatif – mise en place avec des échantillons de données relativement exhaustifs et variétés de données à recenser – et sécurisé pour assurer un bon taux de recommandation, satisfaisants pour le citoyen. Souvenez-vous de Microsoft Tay conçu avec des systèmes d’apprentissages type Machine learning/DeepLearning (non supervisés probablement...) qui pouvaient très vite faire des amalgames en apprenant « trop » des intentions utilisateurs soumises par des utilisateurs mal intentionnés J.

De ce fait, il est fortement recommandé de « connecter » son chatbot à un ensemble de données déjà qualifiées et maitrisées par les ministères ou autres organismes publics (open Data, API) et de bien concevoir l’usage de ses algorithmes d’apprentissage sur la compréhension du langage et des intentions utilisateurs. Aujourd’hui,  le modèle supervisé est le plus adapté dans le secteur public pour du contenu réglementaire ou légal. Dans le cadre de chatbots qui doivent fournir des recommandations non engageantes comme des suggestions de démarches, des modèles plus automatisés avec des algorithmes d’IA (ex : Deep Learning) auront du sens.

À titre d’exemple, j’ai fait une demande pour savoir comment renouveler mon passeport. Le chatbot m’a guidé et apporté la bonne réponse : lieu, pièces justificatives et coût pour que je puisse réaliser ma démarche. Cependant,  il aurait intéressant qu’il puisse me proposer de prendre un rendez-vous à la fin ou me renseigner sur les prochains créneaux disponibles si je souhaite le faire. Le chatbot pourrait apprendre automatiquement en se basant sur les comportements de personnes qui ont déjà tenté de prendre un rendez-vous après avoir eu leur réponse et qui ont été satisfaites. On utiliserait un modèle relativement simple dans ce cas, mais d’autres facteurs peuvent influer également dans le modèle. Reste à vos Data-Scientists de les imaginer, tester & approuver.

Pensez également que vous n’êtes pas Google, Amazon ou Facebook. Mettre en place un réseau de neurones avec un apprentissage sur un contenu métier très riche peut revenir très cher pour arriver à des taux de précisions qui n’atteindront que 75% ou 80%. Oui, même Google n’est pas capable d’être juste dans ses prédictions, mais souvent d’être au plus proche et il est très facile de le piéger sur des contre-sens, paraphrases et autres subtilités de langue !

Si on respecte bien ces quelques règles & concepts, les chatbots constituent dorénavant une solution efficace et peu onéreuse pour optimiser l’expérience administration-citoyen.  Ainsi votre chatbot répondra également au besoin de libérer les personnes de tâches à faible valeur ajoutée pour les positionner sur des tâches à forte valeur ajoutée, un enjeu fort pour toute organisation.

Capitaliser sur l’existant tout en créant du conversationnel.... Vraisemblable ou science-fiction ?

La création de contenus conversationnels à partir de contenus existants (structurés ou semi-structurés) peut être réalisée sans trop de complexité grâce à des librairies de NLP proposées en Open Source par différents partenaires & laboratoires de recherches (Stanford, CEA, CNRS, INRIA, ...). On améliore ainsi la compréhension de langages dans des solutions de chatbots jugés trop classiques, ne comprenant pas les intentions humaines dans leur totalité dès qu’on s’écarte des notions de mots-clés définies en amont.

2 axes de travail sont possibles via ces outils (une partie des outils de NLP uniquement)

  • Découper un contenu trop long en succession de questions/réponses pertinentes qui pourront être facilement intégrées dans une solution de chatbot

  • Pouvoir recréer des phrases à partir de données succinctes (ex : à la question « Combien coûte un renouvellement de passeport », si une réponse est 0 €, il est préférable que le chatbot réponde « L’acte de renouvellement de votre passeport sera de 0 € »).

L’ensemble de ses actions va demander du temps et être qu’en partie automatisé, car une approbation humaine sera nécessaire pour valider la pertinence du découpage et des phrases proposées par les algorithmes. Pensez donc à bien évaluer si cette charge est indispensable pour démarrer une expérimentation. Parfois, il est plus intéressant de repenser les contenus conversationnels directement avec des profils UX qu’avec des métiers habitués à l’exercice.

Enfin le dernier défi et pas des moindres : comment s’assurer que lors des modifications réglementaires ou tout simplement métier, ma base de connaissance conversationnelle soit toujours à jour ? Les contenus actuels sont souvent pensés sur des outils de CMS et remplis par les équipes supports. Ajouter un nouveau canal avec de nouveaux types de contenus à modifier peut s’avérer chronophage pour des équipes communication ou support qui ne seraient pas formés.

Il est donc important de mettre en place des alertes de mises à jour pour les équipes ainsi que des solutions pour créer le nouveau contenu conversationnel associé. Sur ce point, pas de solution magique, mais beaucoup d’idées et d’expérimentation en cours.

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A PROPOS DE L'EXPERT

Frédéric Porta

Frédéric Porta

Directeur en charge de la transformation digitale et innovation au sein du Centre d'Innovation digitale chez CGI

Directeur en charge de l’agence Créative CGI, il assure le développement des opérations sur une équipe de 45 experts répartis sur 3 sites (Paris, Toulouse, Montpellier) spécialisés dans le Design d’expériences utilisateurs (Design de services, design de process, design de produit, UX/UI, …), l’Innovation et ...